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Christophe TARKOS, poèmes

décembre 18, 2012

Source : Mediapart 26/10/2012


Christophe Tarkos est né à Marseille en 1963. Il est décédé des suites d’une longue maladie en 2004. Sa poésie écrite et orale (il est un excellent performer et improvisateur) le situe dans la filiation de Beckett, par exemple, et est associée aux travaux de poètes et d’écrivains comme Charles Pennequin, Christian Prigent, Claude Pélieu, Philippe Beck, Vincent Tholomé, durant les 30 dernières années.

« Je suis un poète qui défend la langue française contre sa dégénérescence, je suis un poète qui sauve sa langue, en la faisant travailler, en la faisant vivre, en la faisant bouger ».

Il organise un travail de sape de la langue ; une poésie de déconstruction ; il s’attaque à la langue dans sa matérialité, en même temps il effectue un travail de nomination (ou renomination) et de rumination (mâche-mot) en soumettant la langue et les mots à une sorte d’incantation ou de psalmodie, les malaxant en une sorte de purée de sons : le pâte-mot. Il aboutit ainsi à une sorte de superficialité de la langue, n’ayant d’abord qu’à proposer sa matérialité : paradigmes, grammaire, sons. C’est l’agencement et le montage qui donnent ensuite cette impression d’emportement, ou d’étouffement dans les méandres des rythmes. A l’instar d’Olivier Cadiot, son écriture n’est pas étrangère aux recherches du 20ème siècle sur la linguistique : grammaires génératives et transformationnelles. Par exemple, le jeu des répétitions, des permutations, par les glissements d’une phrase à l’autre, par substitution ou par déclinaison de paradigmes grammaticaux (passages du présent au passé etc.), énoncés en boucles spiralées, énoncés variables de formules interrogatives, présentatives…Indéniablement, cette poésie est construite pour être proclamée et c’est dans cette opération que la physique du souffle chez le lecteur contribue, pour sa part, à l’élaboration des sens.

Tentatives de susprendre le contrôle de la pensée (voir les premiers surréalistes) et tentation de s’affranchir du sens donné pour faire que le rappel du sens n’encombre plus le dire : jaillissement du dire à l’intérieur même de la gangue de la langue, en « effleurant la surface des mots pour atteindre musicalement le monde ». Christian Prigent a été un de ses principaux défenseurs (voir ses articles ). C’est pourquoi il a également un rapport avec la poésie sonore. « Vient inquiéter l’idylle ahurie entre choses et langues : ça s’appelle peut-être poésie. » (C. Prigent).

Textes

Tue-moi tue-moi ne me laisse pas crever de rien ne me laisse pas mourir sans que personne ne me touche par simple flocalisation ne me laisse pas finir à cause de rien je ne suis pas rien je mérite que tu me tues que tu me poignardes dans le dos que tu m’étrangles que tu m’assassines mais pas de mourir comme ça avec rien dans le dos avec rien en plus avec rien qui m’arrête dans mon élan et ma force je ne veux pas m’arrêter pour rien tue-moi je veux que tu me tues que tu m’assassines je n’ai aucun pouvoir sur ma mort je ne veux pas mourir par mourrissement je suis de la valeur à tuer je suis un élan qui ne s’arrête pas qui ne s’arrêtera pas si tu ne me tues pas dans mon élan mon combat est digne d’un assassinat je suis un combattant tue-moi que je puisse me défendre et te regarder dans les yeux te voir toi le garçon qui va avoir le dessus je me défendrai je perdrai je serai tué par toi qui vas me tuer pour ta raison parce que je suis un vaillant combattant dans son élan en trop tue-moi dans mon élan j’ai l’espoir d’être en trop qu’il faille me descendre me tuer assassine-moi dans le dos avant que rien ni personne ne me tue avant de me voir mourir par dessèchement de laissé toujours vivant pour rien enlève-moi ma vie que j’aime d’homme vaillant ne me laisse pas me dessécher abandonné comme si j’étais rien à ce point qu’aucun assassinat ne m’assassine qu’aucune personne ne m’étrangle qu’aucun garçon ne me poignarde pendant ma combattante vaillance je ne veux pas que ce soit rien je serai mort je mourrai sans raisons je mourrai par le vide.

Caisses éd. P.O.L. 1998

Tout est totalement monstrueux ma face collée à manger est monstrueuse à pommeaux à trous à volonté à s’accrocher à tout s’accrocher est monstrueuse ma bouche ouverte est dégueulasse des ronds d’yeux liquides sont monstrueux clignent la face est monstre de mes miennes narines seules mes narines les deux seules vues les deux seules narines bougeantes mes narines bougent toutes seules mes narines bougeantes sont monstrueuses ce qui sort de mes narines oreilles est monstre monstrueux ma monstrueuse bouche tout est monstrueux ce qui sort des oreilles et des yeux s’échappe dehors est dégueulasse déborde dehors c’est dehors débordé ma haleine est monstrueuse ce qui sort de mes narines qui bouge tout seul est monstrueux et irrespirable des monstres me sort par les yeux me sort par le nez déborde dehors est monstrueux et c’est dehors pense dehors qui pense tout me sort par le nez et par les oreilles dehors a débordé a tout préparé est bien installé pense tout est tout installé tout est dégueulasse débordant dehors pense monstrueusement je mange dehors monstre.

Caisses éd. P.O.L. 1998

Je soulève le couvercle de la théière. La théière est en fer peint de fleurs sur un fond blanc. La théière est en fer-blanc, a la forme d’une cafetière. Je soulève le couvercle de fer-blanc de la théière, je le pose à ses côtés sur la table en bois. Je prends la bouilloire et je verse l’eau bouillante de la bouilloire dans théière en fer ouverte. J’enlève le couvercle, je pose le couvercle, je verse l’eau, je prends le couvercle, je repose le couvercle sur la théière en fer. Je referme la théière en fer qui fume. La théière de thé tiède est pleine d’eau chaude. Le thé dans la tasse blanche a le goût du thé couleur thé. Eclaircie par la tache blanche, la vapeur d’eau et l’eau chaude versée dans la tasse blanche aux bords chauds.Une goutte de thé versée goutte sur le bec de la théière qui verse le thé dans la tasse et glisse sous la gouttière courbée de la théière puis le long de la courbe de la théière de terre et tache la table. Je prends la tasse. Je bois une gorgée de thé chaud. Le thé fait mal au coeur. Je bois une gorgée, je repose la tasse. J’oublie la tasse de thé. J’ai mal au coeur. J’ai soif, je prends la tasse, je bois une gorgée. Je repose la tasse. Le mal au coeur s’adoucit. J’oublie la tasse. Je bois une gorgée de thé, le thé est froid.

Caisses éd. P.O.L. 1998

Les nuages sont beaux, blancs les nuages sont blancs, bleus, les nuages sont beaux, immondes, les nuagent nagent, les enfants font l’amour, lèvent, soufflent, grandissent, passent, ne reculent pas, se retournent, descendent, les nuages nagent, les nuages volent, sont beaux immortels, couvrent tout le ciel, remplissent le ciel, rendent le ciel plus blanc, ne tordent pas, s’élargissent font des nuées, les nuages ne servent à rien, au-dessus de nos têtes, glissent, sont sur le ciel, sont sur les yeux, il n’y a qu’à lever les yeux pour les voir glisser au-dessus de nous les mouvements sont si lents, il n’y a pas de mouvements dans le ciel, les nuages glissent lentement, si lentement les nuages volent, s’enfoncent, il y en a partout dans le ciel, ce qui reste est du bleu, le bleu du ciel, des taches bleues, les enfants sont jeunes et blancs, les enfants sont doux, les enfants sont jolis, les enfants font l’amour, se font l’amour entre eux, sont en train de faire l’amour entre eux, sont jeunes et doux, les taches bleues sont semblables aux taches blanches des nuages les nappes blanches des nuages s’étalent, se sont étalées, sont étalées, prennent la place dans le ciel, couvrent, sont couvrantes, les mouvements sont si lents, les masses blanches changent de forme sans qu’on les voie changer de forme, on ne voit pas, dans les yeux, les nuages sont sur le voile de yeux les nuages voilent les yeux, on ne voit que des nuages, le ciel se referme, ils peuvent couvrir le ciel de nuages [ …]

( extrait)

Pan éd. P.O.L. 2000

Extraits de la Bibliographie

Le Bâton – 1998

Caisses – 1998

Le Signe – 1999

Cage – 1999

Pan – 2000

Anachronisme – 2001

Processe – 2003

Ecrits poétiques – P.O.L. – 2008


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La poésie est la pensée humaine.

Le poète est intelligent. Il prépare la pensée difficile.
La pensée est engoncée, dure et pâteuse, le poète la masse, l’amollit, la réchauffe. Il entraîne l’intelligence à sortir de son engourdissement, il entraîne sa tête, les membres de sa cervelle, sa nuque et ses dix doigts à sortir. Il veut se désincruster. Il décortique la bouche et rogne le bras droit de son maître. Il s’entraîne à bouger la tête à l’intérieur de la pensée.

Le poète prépare sa pensée.

L’intelligence ne sort pas d’elle-même. Il masse le crâne, il entraîne sa vision de voir au-delà de ce qui, tari, se colle, séché, dans les plis de la pensée, il déchire son ventre. Il ne se lance pas sans préparation, le poète est intelligent, le poète va entrer dans la pensée difficile. Le poète, mouvant, se déplace dans l’espace, il s’entraîne d’être, pensant, il se pare à translater les images.

Le poète se prépare pour penser.

Il se laisse tomber dans les escaliers, il laisser tomber un filet de sable, un filet de riz fin, un filet de poudre de biscottes écrasées à la masse, il tombe de haut, il laisse échappe les kilos des sacs, il tombe des chaises, tombe des tables, tombe des arbres, il s’abandonne à tomber. La poésie est l’intelligence même, en train de naître.

Le poète crie

[…]


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