Aller au contenu principal

Georg Trakl, poèmes

juin 19, 2012

Grodek (dernier poème)
.
Vers le soir, les forêts d’automne retentissentdes armes de la mort, les plaines dorées,

les lacs bleus et par-dessus le soleil

encore plus sombre roule ; la nuit enserre

des guerriers mourants, la lamentation sauvage

de leurs bouches en éclat.

Mais en silence s’amoncelle au fond du pâturage

nuée rouge, là vit un dieu coléreux,

le sang est vidé, froid de lune

Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire

Sous les rameaux d’or de la nuit et des étoiles,

Vacille l’ombre de la sœur au travers du bois muet

Pour saluer les esprits des héros, les têtes en sang

Et doucement sonnent dans les roseaux les flûtes

obscures de l’automne

Ô deuil plus fier autel d’airain

La flamme chaude de l’esprit nourrit aujourd’hui

une douleur violente,

Les descendants qui ne verront pas le jour.

.
.
.

Plainte

Sommeil et Mort, les sinistres aigles

Des nuits qui cognent contre ma tête :

de l’homme l’image d’or

la vague glacée le noie

dans l’éternité. Sur d’horribles rochers

se brise le pourpre du corps

et la sombre voix se lamente

au-dessus de la mer

sœur au cœur envahi de tempêtes, vois sombrer la barque des peurs

sous les étoiles

le visage silencieux de la nuit ;

.
.
.

Occident 3

Vous, les grandes villes

de pierres dressées

sur la plaine !

Dans le silence s’en va

celui qui n’a point de patrie

Avec le front enténébré, avec le vent,

les arbres nus sur la colline

Vous les fleuves qui mourrez là-bas

Immense peur

de l’horrible crépuscule

dans les nuées de la tempête

vous les peuples mourants !

Vague blême

se brisant au bord de la nuit

étoiles tombantes

.
.
.

Révélation et naufrage (extraits)

Et il parla une voix sombre venant de moi

De mon cheval j’ai rompu le cou

au fond de la forêt la plus noire,

quand la folie jaillit de ses yeux pourpres

tombèrent sur moi les ombres des ormes,

le rire bleu de la source

et le froid noir de la nuit

quand je débusquais, chasseur sauvage,

un gibier de neige dans un enfer de pierre.

Mon visage mourut.

Mais comme je descendais la sente rocheuse,

la folie me terrassa et je criais,

haut dans la nuit,

et comme je me couchais

avec des doigts d’argent sur les eaux muettes,

je vis que mon visage m’avait abandonné.

Et la voix blanche me dit : Tue-toi !

Gémissante une voix d’enfant se leva en moi

et me regarda, rayonnante,

de ses yeux cristal, au point que je m’abattis

pleurant sous les arbres,

la voûte puissante des étoiles

Avec des semelles d’argent,

je descendis les degrés d’épine

et j’entrais dans la chambre blanchie

à la chaux

Calmement, un chandelier y brûlait

et je cachai ma tête

en silence dans les toiles pourpres.

Et la terre rejeta un cadavre d’enfant,

une forme lunaire

qui sortit lentement de mon ombre,

plongea bras cassés

des pierrailles, neige en flocons.

.
.
.

Lamentation

Plein sommeil et mort,

les aigles tristes bruissent autour de cette tête

toute la nuit durant

L’image dorée de l’homme

Que la vague glaçante de l’éternité l’engloutisse.

Sur de lugubres récifs s’écrase le corps pourpre

et se plaint la voix sombre sur la mer.

Sœur d’une mélancolie furieuse

Vois une barque lourde de peur coule sous les étoiles,

Sous la face close de silence de la nuit.

.
.
.

Rondeau

Il s’est enfui l’or du jour,

le brun du soir et aussi ses couleurs bleues :

Les douces flûtes du berger se sont éteintes

Il s’est enfui l’or du jour

.
.
.
.

Mélancolie

L’âme bleue s’est refermée muette

Dans la fenêtre ouverte tombe la forêt brune

Le silence des bêtes sombres ; dans la profondeur meule le moulin

sur le chemin,, les nuages dévalent,

Ces étrangers dorés. une cohorte de coursiers

jaillit rouge dans le village. Le jardin brun et froid

L’aster tremble de froid, sur la clôture peinte tendrement

l’or des tournesols est déjà presque enfui.

La voix des jeunes filles, la rosée a débordé

dans l’herbe dure et l’étoile blanche et froide.

Au milieu des ombres chères vois la mort peinte

chaque face pleine de larmes et fermée sur elle-même.

.
.
.

Délirium

La neige noire, celle qui s’écoule des toits ;

Un doigt rouge plonge dans ton front

Dans la chambre nue coulent au fond des névés bleus,

ils sont les miroirs défunts des amants.

En morceaux lourds éclate la tête et cherche le sens

des ombres dans le miroir des névés bleus.

Au sourire glacial d’une jeune fille morte.

Dans des parfums d’œillets pleure le vent du soir.

.
.
.

Crépuscule

Toute souffrance te saccage, te déchire

Et tremble du désaccord de toutes les mélodies

Toi harpe brisée – pauvre cœur

d’où fleurissent les fleurs malades de la mélancolie

Qui a convoqué ton ennemi, ton meurtrier

Qui a volé la dernière étincelle à ton âme,

comme il enlève le divin de cette terre mesquine

Et l’a fit putain, détestable, malade, en dissolution.

————

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Un rivage mort à la mer muette,

Un rivage mort:

Jamais plus

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Le ciel dans lequel, astre, tu brûlas,

Un ciel où nul dieu jamais plus n’éclôt,

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Un non-né dans un doux sein

Et qui jamais ne fut ni jamais ne sera,

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Silence

Au-dessus des forêts luit blafarde

la lune qui nous fait rêver

Le saule au bord de l’étang sombre

pleure sans bruit dans la nuit;

Un cœur s’éteint – et insensiblement

les brouillards débordent et montent –

Silence, silence!

———————-

Au soir, ils portèrent l’Étranger dans la chambre des morts ;

une odeur de goudron, le doux soupir des platanes roux ;

le vol noir des choucas ; sur la place on a relevé la garde,

le soleil aura sombré derrière une toile noire ; toujours reviendra cette soirée enfuie.

Dans la chambre voisine, la sœur joue une sonate de Schubert,

très doucement son rire coule sur la fontaine délabrée.

———————————————————-

Il faut enfin citer son poème le plus connu, traduit magnifiquement par Nathalie Varda:

.
.
.

Psaume

C’est une lumière que le vent a éteinte

C’est une cruche d’incrédule que l’après midi un ivrogne abrège

C’est un vignoble brûlé et noir avec des trous plein d’araignées

C’est une pièce qu’ils ont peinte avec du lait

Le Fou a péri C’est une île de la mer du Sud

Pour accueillir le Dieu du soleil On bat les tambours

Les hommes mènent des danses guerrières

Les femmes balancent les hanches en pédoncules de plantes et fleurs de feu

Quand la mer chante Ô notre paradis perdu !

Les nymphes ont déserté les forêts d’Or

On enterre l’Etranger Alors se soulève une pluie scintillante

Le fils de Pan apparaît en forme de terrassier

Qui au midi s’assoupit au brûlant asphalte

Ce sont de petites filles dans une cour de ferme aux robes pleines d’une misère à vous déchirer le cœur

Ce sont des chambres emplies d’accords et de sonates

Ce sont des ombres qui s’embrassent devant des miroirs aveuglés

Aux croisées de l’hôpital se réchauffent des convalescents

Un blanc vapeur au canal charrie des épidémies sanglantes

La sœur étrange apparaît derechef dans les mauvais rêves de personne

Reposant dans le coudrier elle joue avec ses astres

L’étudiant peut-être un double la contemple longuement de la fenêtre

Derrière lui se tient son défunt frère Dans le sombre de la chambre aiment se mouvoir devant lui de curieuses choses

Dans la rouge jacinthe blêmit l’apparaître de la jeune infirmière

Le jardin est au soir Dans le cloître errent en voltigeant des chauves souris

Les enfants du maître de maison arrêtent de jouer et cherchent l’Or céleste

C’est une nuée qui se dissout Dans le feuillage le jardinier s’est pendu

Dans la maison de verre nagent au comble des couleurs brunes et bleues C’est le déclin vers lequel nous parvenons

Où les morts d’hier reposaient s’affligent des Anges aux blanches ailes broyées

Sous les chênes errent des Démons aux fronts brûlants

Dans le marais font silence des végétations écoulées

C’est un vent chuchotant dont Dieu déserte les errances tristes

L’Eté a brûlé le blé Les pâtres ont émigré

Où l’on continue d’aller on sent une vie plus aurorale

Les moulins et les arbres vont vides dans le vent vespéral

Dans la ville détruite la nuit relève des tentes noires

Comme tout est vain !

Traduit par Nathalie Varda
.
.
.


A l’est

Aux orgues sauvages de la tempête d’hiver
Ressemble la sombre colère du peuple.
Houle purpurine de la bataille que livrent
Des étoiles dépouillées de leurs feuilles.

Sourcils brisés, de ses bras d’argent,
La nuit fait signe à des soldats mourants.
Dans l’ombre du chêne automnal
Gémissent les esprits des hommes abattus.

Un désert de ronces ceinture la ville.
Du haut d’escaliers embrasés la lune chasse
Les femmes effrayées.
Des loups sauvages sont entrés par la porte.

..
.
.

Ballade

Un fou traçait trois signes dans le sable,
Pâle, une fille se tenait devant lui.
Fort chantait, ô chantait la mer.

La main de la fille tenait un gobelet
Où scintillait jusqu’au bord
Comme du sang, si rouge et si lourd.

Pas un mot ne fut dit – le soleil disparut.
Alors le fou arracha de la main de la fille
Le gobelet qu’il vida jusqu’au fond.

La lumière s’éteignit dans la main de la fille,
Le vent dispersa trois signes dans le sable…
Fort chantait, ô chantait la mer.

OOOOO

Musique au Mirabell

Une fontaine pleure. Les nuages, là
Dans le bleu clair, les blancs, les doux nuages.
En silence, des gens pensifs traversent
Le vieux jardin, à l’heure du soir.

Le marbre des ancêtres est devenu gris.
Un vol d’oiseaux gagne les lointains.
Un faune aux yeux morts suit du regard
Des ombres qui glissent dans le noir.

Rouges, les feuilles tombent du vieil arbre
Et volent jusqu’ici par la fenêtre ouverte.
Un éclair de feu s’allume dans la pièce
Et dessine les sombres fantômes de la peur.

Blanc, un étranger entre dans la maison.
Un chien se rue à travers des corridors en ruines.
La servante éteint une lampe.
L’oreille entend dans la nuit des notes de sonates.

.
.
.

De nuit

Le bleu de mes yeux s’est éteint dans cette nuit,
L’or rouge de mon cœur. O ! Le silence de la lampe allumée.
Ton manteau bleu enveloppa celui qui tombait.
Tes lèvres rouges scellèrent l’enténèbrement de l’ami.

Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, éditions Obsidiane, 1986, réédité (Vingt poèmes de Georg Trakl) en 2006, p. 35.

Nachts

Die Bläue meiner Augen ist erloschen in dieser Nacht,
Das rote Gold meines Herzens. O! wie stille brannte das Licht.
Dein blauer Mantel umfing den Sinkenden;
Dein roter Mund besiegelte des Freundes Umnachtung.
.
.
.

Été

Le soir se tait la plainte
Du coucou dans la forêt.
Plus bas s’inclinent l’épi,
Le coquelicot.

L’orage noir menace
Au-dessus de la colline.
La vieille chanson du grillon
Meurt dans le champ.

Jamais ne bouge
Le feuillage du châtaignier.
Sur l’escalier tournant
Bruissent tes vêtements.

Calme brille la bougie
Dans la chambre obscure ;
Une main d’argent
L’éteint.

Pas de vent, nuit sans étoile.

Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, éditions Obsidiane, 1986, réédité (Vingt poèmes de Georg Trakl) en 2006, p. 55.

Sommer

Am Abend schweigt die Klage
Des Kuckucks im Wald.
Tiefer neigt sich das Korn,
Der rote Mohn.
Schwarzes Gewitter droht
Über dem Hügel.
Das alte Lied der Grille
Erstirbt im Feld.
Nimmer regt sich das Laub
Der Kastanie.
Auf der Wendeltreppe
Rauscht dein Kleid.
Stille leuchtet die Kerze
Im dunklen Zimmer;
Eine silberne Hand
Löschte sie aus;
Windstille, sternlose Nacht.
.
.
.

Bio-bibliographie sur Poezibao
..
.
Une page sur Georg Trakl sur Esprits Nomades

.
.
.

No comments yet

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.